Oiseaux marins
Cas particulier d’une marée noire
Cette rubrique n’a d’autre but que d’informer. En aucun cas, elle ne peut servir de base à de quelconques recettes de cuisine. Chaque animal en difficulté nécessite un bilan individuel réalisé par un spécialiste, qui, au vu de ce bilan, apporte une réponse adéquate à la pathologie rencontrée. Vouloir jouer aux apprentis sorciers, même dans une bonne intention, se solde irrémédiablement par une catastrophe (noyade en voulant réhydrater un oiseau, par exemple…). D’autre part, détenir des espèces protégées sans autorisation vous place dans l’illégalité (cf. « lois en vigueur« ). Néanmoins, si vous souhaitez apporter vos soins à la faune sauvage, rejoignez un centre de soins où vous apprendrez les gestes idoines. Les bénévoles sont toujours les bienvenus.
Chers consœurs et confrères, cette rubrique vous est destinée. Vous pouvez y accéder en libre service. Cependant, que cela ne soit pas une raison pour ne pas nous soutenir : soutenir notre action.
L’action théorique du vétérinaire
telle que pratiquée en Galice, lors de la marée noire liée au naufrage du Prestige
Arrivé au centre, la première des choses, avant tout autre examen, est la prise de température. Si celle–ci est inférieure à 32°C (le thermomètre ne se déclenche pas), l’animal est immédiatement placé au chaud, sur bouillotte (recouverte d’un tissu éponge) et on le laisse récupérer, « porque no aguanta » dixit une vétérinaire brésilienne de l’IFAW. L’examen d’admission et les premiers soins ne sont faits que lorsque l’oiseau a un peu récupéré. Pour des températures supérieures, un examen plus complet est effectué, à savoir prise de poids, estimation du degré de déshydratation (élasticité de la peau (visible sur les pattes, brillance péri–oculaire, « humidité buccale : présence ou non de membranes sèches »)), appréciation de l’état d’embonpoint (masse musculaire) de part et d’autre du bréchet, observation de l’ensemble du plumage (degré de « mazoutage », éventuelles blessures cutanées, dues ou non au pétrole), examen des membres pour la détection d’éventuelles fractures, alaires notamment. L’auscultation cardiaque, pulmonaire et des sacs aériens est effectuée. Lorsque l’on a une centrifugeuse dans le centre, ce qui n’est pas toujours le cas, une prise de sang est réalisée à la veine métatarsienne à l’aide d’une aiguille 25 G et d’un tube capillaire. Elle constitue l’examen de routine avec la détermination de l’hématocrite, des globules blancs, du glucose et des protéines totales. L’oiseau est, bien sûr, pesé et bagué.

Prise de température à l'arrivée de l'oiseau puis au minimum une fois/jour

Macareux moine placé sur bouillotte recouverte d'une serviette éponge

Lecture de l'hématocrite (microméthode : capillaire placé sur un abaque)
Le profil médical d’un oiseau mazouté est l’hypothermie, la déshydratation et tout ce qui est lié à une diète forcée d’une durée plus ou moins longue : anémie, perte de poids, carences (avitaminoses A qui se traduisent par des lésions oculaires (aussi liées au fait que les oiseaux se frottent le corps mazouté avec la tête), des lésions buccales, avitaminoses B qui se traduisent pas des symptômes neurologiques…, en bref la normale !
Les maladies développées dans de tels centres : la détention des oiseaux, en nombre important comme lors de chaque marée noire, s’apparente à de l’élevage intensif. L’affection la plus à craindre est l’aspergillose (Aspergillus fumigatus) . L’on ignore toujours si les oiseaux sont porteurs, dans leur habitat naturel, de ce champignon (inhibé par l’air salin), champignon qu’ils développeraient à la faveur d’une immunodéficience et/ou de conditions environnementales propices (chaleur humide). Afin d’éviter le développement de cette mycose, un mélange de vitamine C et d’acide sorbique est donné en préventif, selon les conseils d’un confrère spécialisé en aviaire. En curatif, seule fonctionne l’administration d’énilconazole, ou apparenté, en nébulisation. Malheureusement, ce traitement, parce que non encore homologué par l’IFAW, n’a pas été utilisé en France. Cela aurait peut-être permis d’éviter l’euthanasie de 300 oiseaux (guillemots et fous de Bassan).
Les autopsies
Remarques
. L’antibiothérapie en préventif est à proscrire car cela favorise les problèmes de type aspergillose.
. Le Primpéran® ou Primpérid® ou tout autre analogue gastrocinétique, entre autres propriétés, ont une action au niveau central. Les effets secondaires ne sont donc pas négligeables. Leur préférer les principes actifs à action périphérique, style Motilium® (dompéridone). Ils présentent, de plus, l’avantage d’être dénués de néphrotoxicité.
Les oiseaux qui ne semblent pas « dans leur assiette » après un repas doivent être placés au chaud (on note une hypothermie transitoire post-prandiale marquée chez ces oiseaux).
. Pas de corticoïdes sur les lésions des oiseaux car ils entraînent des modifications du tégument à priori irréversibles (dans le doute s’abstenir).
. La perte d’un œil n’est pas un critère d’euthanasie (des guillemots borgnes ont été vus attraper des poissons en piscine)
. Pour savoir si vous ne faîtes pas fausse route lorsque vous hydratez un oiseau, 2 critères :
- la sonde, en pénétrant dans l’œsophage, doit passer à droite ou à gauche de l’entrée de la trachée, visible au fond du bec de l’oiseau. Vous devez toujours vous en assurer.
- pour confirmer que vous êtes au bon endroit, chez les petits oiseaux, vous pouvez suivre le trajet de la sonde qui progresse, sous la peau du cou.
Exemples cliniques
Parasitoses digestives massives
Diarrhées
Fractures
Blessures profondes
Autres
Quatre guillemots, sans problèmes apparents, présentèrent des crises convulsives (description du soigneur) après gavage avec des poissons entiers, type sardines (trop de travail pour les soigneurs qui ont voulu gagner du temps en les gavant). Les oiseaux furent euthanasiés.
Résultats d’autopsie : un ventricule succenturié distendu à l’excès par la nourriture, d’un volume bien supérieur à ce que la physiologie autorise, et compression des veines périphériques à ce ventricule avec stase sanguine en amont.
L’euthanasie n’est, bien sûr, pas la réponse appropriée (il n’y a pas de critique d’action vétérinaire vu qu’aucun vétérinaire n’était sur place). Nous rappelons, à ce sujet, que seuls les vétérinaires sont autorisés à pratiquer cet acte médical. En l’absence d’intervention médicale, pouvons-nous supposer que la mort aurait pu être consécutive à l’arrêt brutal et définitif du torrent circulatoire veineux, entraînant un choc cardiogénique ?
Ce qu’il aurait fallu faire : rétablir la circulation sanguine (dopamine) et mécaniquement tenter de diminuer le volume du ventricule à l’aide d’une seringue. Cela aurait permis, au minimum, l’aspiration de l’air et si possible d’une partie des aliments (attention à la remontée des solides qui peuvent entrer dans la trachée). Compléter, le cas échéant, avec l’administration d’un stimulant de la motricité digestive.
Conclusion : attention avec les oiseaux faibles (diminution de la motricité digestive, diverses origines). Ne pas hésiter à effectuer une transition entre la bouillie et le poisson. Commencer par de tout petits poissons. Aider les oiseaux avec du Motilium®, par exemple, si nécessaire.
Parasitoses digestives massives
Elles sont visibles lors de l’hydratation ou du gavage car ces hôtes indésirables accompagnent la sortie de la sonde jusqu’au bec. Il est conseillé une action anthelminthique progressive (paralysie musculaire des parasites éliminés par le péristatltisme intestinal de l’hôte) plutôt qu’une action franche pouvant générer un embole septique… Ce qui est à base de pipérazine convient.
L’examen des fientes oriente ensuite pour les traitements. Des fientes normales sont blanches. En cas de diarrhée « simple » : pansement digestif (argile, montmorillonite, Smectivet par exemple).
En cas de diarrhée hémorragique : compléter avec de l’Hémoced (0,5 ml) et renforcer l’apport en Fer (Vétiférol, Fercobsang : 0,2 ml en IM, Fer dextran).
Côté homéopathie : on peut utiliser Veratrum + Opium + Arsenicum album (préparation alcoolique en 9 CH, 67 gouttes dans 2 l).
Chez les oiseaux, la calcification est rapide (15 jrs). Le traitement de certains oiseaux peut donc être envisagé selon l’espèce. Un guillemot qui doit être mis en piscine le plus rapidement possible (pour éviter les problèmes irréversibles de tarses gonflés) est certainement moins « gérable » qu’un laridé ou un limicole.
idem fractures.
. pyodermites à staphylocoques : lavage au Calendula + Cothivet®
. lésions oculaires : comme indiqué précédemment, l’on a souvent des abrasions de la cornée (Fluorescéine +) d’oiseaux se frottant la tête sur les ailes. N.A.C. Collyre est efficace. La complémentation en vitamines (A entre autres) règle le problème.
. lésions buccales : candidose ou avitaminose A ? Idem que précédemment pour la vitamine A.
. Lésions podales : surtout sur les côtes rocheuses. Désinfection à la chlorhexidine, à la Vétédine. Pommades cicatrisantes : crème Dolisovet®, onguent KLC®, homéoplasmine®, Cothivet® et autres. Nous rappelons de ne pas utiliser de corticoïdes.
. Autres lésions : essayer de ne pas souiller le plumage plus qu’il ne l’est. Désinfection. Cothivet permet une bonne cicatrisation et semble ne pas poser de problème particulier au lavage. Toujours penser à différencier les périodes pré-lavage et post-lavage lors de l’application de topiques externes.
Données à connaître
Echelle de poids de quelques oiseaux
Espèces
|
Poids (g)
|
Plongeon imbrin (Gavia immer)
|
3700 – 4200
|
Plongeon arctique (Gavia arctica)
|
2700 – 2750
|
Plongeon catmarin (Gavia stellata)
|
800 – 1750
|
Grèbe huppé (Podiceps cristatus)
|
700 – 1160
|
Grèbe esclavon (Podiceps auritus)
|
365 – 600
|
Grèbe à cou noir (Podiceps nigricollis)
|
300 – 400
|
Fulmar boréal ou Pétrel fulmar (Fulmarus glacialis) |
625 – 830
|
Grand cormoran (Phalacrocorax carbo)
|
2700 – 2800
|
Cormoran huppé (Phalacrocorax aristotelis)
|
1750 – 2250
|
Huîtrier pie (Hæmatopus ostralegus)
|
400 – 700
|
Fou de Bassan (Morus bassanus = Sula bassana)
|
2800 – 3200
|
Goéland marin (Larus marinus)
|
1500 – 2000
|
Goéland brun (Larus fuscus)
|
560 – 1200
|
Goéland argenté (Larus argentatus)
|
800 – 1300
|
Mouette rieuse (Larus ridibundus)
|
210 – 300
|
Mouette tridactyle (Rissa tridactyla)
|
340 – 500
|
Pingouin torda ou Petit pingouin (Alca torda)
|
500 – 750
|
Guillemot de Troïl (Uria aalge)
|
700 – 1100
|
Macareux moine (Fratercula arctica)
|
300 – 450
|
Mergule nain (Alle alle)
|
116 – 160
|
Fréquences cardiaques et respiratoires d’un oiseau
Poids (g)
|
Fréquence cardiaque au repos/min |
Fréquence cardiaque en activité/min |
Fréquence respiratoire au repos/min |
Fréquence respiratoire en activité/min |
25
|
274
|
400-600
|
60-70
|
80-120
|
100
|
206
|
500-600
|
40-52
|
60-80
|
200
|
178
|
300-500
|
35-50
|
55-65
|
300
|
163
|
250-400
|
30-45
|
55-60
|
400
|
154
|
200-350
|
25-30
|
40-60
|
500
|
147
|
160-300
|
20-30
|
30-50
|
1000
|
127
|
150-350
|
15-20
|
25-40
|
1500
|
117
|
120-200
|
20-32
|
25-30
|
2000
|
110
|
110-175
|
19-28
|
20-30
|
5000
|
91
|
105-160
|
18-25
|
20-30
|
Ritchie B. W., Harrison G. J., Harrison L. R., 1994. « Avian Medicine : principles and application ». Lake Work, Florida : Wingers Publishing, Inc. p 39-60
Volume de sang hebdomadaire que l’on peut prélever chez les oiseaux
Poids (g)
|
50
|
100
|
150
|
200
|
250
|
300
|
350
|
400
|
450
|
500
|
550
|
|
V (ml)
|
0,3
|
0,6
|
0,9
|
1,2
|
1,5
|
1,8
|
2,1
|
2,4
|
2,7
|
3,0
|
3,3
|
|
Poids (g)
|
600
|
700
|
800
|
900
|
1000
|
1200
|
1400
|
1600
|
1800
|
2000
|
2200
|
2500
|
V (ml)
|
3,6
|
4,2
|
4,8
|
5,4
|
6,0
|
7,2
|
8,4
|
9,6
|
10,8
|
12,0
|
13,2
|
15,0
|
Inadmissible
Les maladies développées dans de tels centres : la détention des oiseaux, en nombre important comme lors de chaque marée noire, s’apparente à de l’élevage intensif. L’affection la plus à craindre est l’aspergillose (Aspergillus fumigatus). Le protocole américain préconise, en préventif, l’administration d’itraconazole (Sporanox® (liste I) depuis 1993 ; laboratoire Janssen Cilag, numéro AMM : 334628-8). Nous rappelons qu’en France, ce médicament est uniquement destiné à un usage hospitalier et ce, non sans raison : les mycoses invasives (résultantes principalement de Candida et Aspergillus) comptent parmi les pathologies infectieuses les plus graves en santé humaine. Elles représentent aujourd’hui la seconde cause de mortalité par infection fongique à l’hôpital. En onco-hématologie, la situation chez les allogreffés de moelle est préoccupante avec une fréquence au moins égale à 10 % et une mortalité proche de 100 %.
Rappel : l’aspergillose (autrefois appelée maladie du poumon de fermier) est due à un champignon filamenteux saprophyte thermophile : Aspergillus fumigatus, jouant un rôle important dans le recyclage naturel du carbone et de l’azote organique. Les caractéristiques biologiques majeures de cette espèce (thermopreferendum de large gamme, capacité de sporulation élevée et absence de besoins nutritionnels spécifiques) lui permettent de coloniser une grande variété de substrats. Il ne s’agit pas d’une zoonose, il n’y a pas de vecteurs : les conidies de cette espèce fongique, présentes en permanence en suspension dans l’air, sont régulièrement inhalées par l’homme et les animaux, et leur petite taille (2-3 microns) leur permet de pénétrer le tractus respiratoire jusqu’aux alvéoles pulmonaires. Chez les oiseaux marins, la localisation s’observe au niveau des sacs aériens à l’origine d’aéro-sacculites. La période d’incubation est variable, de quelques jours à plusieurs semaines. Il n’y a pas de transmission horizontale.
Chez l’hôte immunocompétent, les défenses cellulaires non-spécifiques éliminent le champignon. Chez le patient immunodéprimé, l’inefficacité de la réponse cellulaire se traduit par la germination des conidies et une expansion mycélienne dans le parenchyme pulmonaire, provoquant une pneumopathie sévère associée ou non à l’envahissement d’autres organes.
Aberration 1 : organes cibles et parcours de la molécule
La particularité du tube digestif des oiseaux est de présenter une perméabilité à l’itraconazole (entre autres triazolés) quasiment nulle. Secondairement, les caractéristiques anatomiques des sacs aériens (faiblement vascularisés, absence d’escalator muco-ciliaire), organes où sont localisées les lésions aspergillaires, ne contribuent pas à une bonne distribution du principe actif. Ces inconvénients tentent d’être palliés par une dose préconisée de 25 mg/kg chez des patients insuffisants hépatiques et rénaux ( !, confer nombreuses contre-indications de l’administration de l’itraconazole), soit environ 9 fois plus que les doses en humaine (200 mg/j selon les affections).
Aberration 2 : absence de suivi des oiseaux relâchés ou comment disséminer des résistances dans le milieu (en toute ignorance ?)
Nous ne rappellerons jamais assez que l’antibiothérapie doit être raisonnée, même (surtout) s’il s’agit de faune sauvage. Au même titre que les bactéries, les animaux traités avec des antimicrobiens antifongiques peuvent répandre des aspergilles résistants dans l’environnement. Toutes les mesures possibles doivent être prises pour réduire la contamination de l’environnement. Certains des oiseaux relâchés ont été récupérés quelques jours plus tard atteints d’aspergillose. Qu’en est-il des autres ?
Aberration 3 : coût du traitement
La couverture antimycosique doit être établie tout au long de la période de réhabilitation. Le coût de l’opération devient prohibitif. Pour information, en 2002, le prix pharmacien HT de la plaquette thermoformée de 30 gélules, dosées à 100 mg, était de 210 euros (1373.40 F). Faîtes le calcul pour un temps de captivité de 15 jours minimum ! C’est d’autant plus une ineptie que tous les centres n’étaient pas même équipés du strict minimum.
Conclusion :
Administrer illégalement ou de manière non justifiée de l’itraconazole à des oiseaux dont on ignore le devenir et sans garantie de l’efficacité du traitement, est contraire à la mission du vétérinaire qui n’est pas de jouer aux apprentis sorciers.
La priorité doit être faite aux traitements autorisés, qui, de surcroît, ont fait leurs preuves !
Outre d’autres aspects, l’échec thérapeutique des antifongiques en humaine est lié au statut immunologique du patient mais aussi à la résistance des champignons aux antifongiques.
Il est donc irresponsable de la part du vétérinaire, dont le devoir est d’être garant, par ses pratiques, de la préservation de la santé publique, de favoriser la dissémination de résistances en se fournissant en itraconazole par le biais d’ATU ou sous le manteau via la Belgique. En plus d’être illégale dans le dernier cas, cette attitude est criminelle car elle participe directement à la mortalité des patients hospitalisés et atteints de mycoses invasives.
Et tant que nous y sommes, pourquoi ne pas se fournir en voriconazole (VFEND, laboratoires PFIZER, liste I, date de l’AMM : 19 mars 2002) ?
Ceci est le fruit des expériences de plusieurs vétérinaires français ayant officié pendant l’Erika ou le Prestige et d’un centre de soins morbihannais